Dans Les Hommes contre l’humain (1951), Gabriel Marcel
porte un diagnostic sur ce qu’on pourrait appeler les tendances lourdes
de notre époque. Sa réflexion, comme le souligne Paul Ricœur
dans la préface, « se situe au point de rencontre de préoccupations
liées à l’actualité et d’une méditation
de longue durée ». L’actualité, c’est
celle de l’immédiat après-guerre et des bouleversements
qu’elle impose au monde : Marcel dénonce alors le renforcement
de la tyrannie bureaucratique, les menaces d’une destruction de l’humanité par
l’arme atomique, les craintes d’une bolchevisation brutale ou sournoise
de l’Europe occidentale.
Plus profondément, se dégage la critique vigoureuse de l’esprit
d’abstraction dont il discerne les ravages au plan spéculatif comme
au plan pratique des idéologies. C’est le noyau dur de la personne
que tentent de réduire des forces destructrices à l’œuvre
dans nos démocraties pacifiques, forces révélées
et amplifiées par le totalitarisme.
On touche ici au procès de la bureaucratie et de la technocratie, dont
Marcel souligne l’orientation systématiquement réductrice,
toutes les activités humaines, du travail au loisir et à l’activité artistique,
tombant sous la mesure quantitative du rendement et de l’efficacité.
Au-delà de l’acuité politique et philosophique de l’ouvrage,
on est frappé du ton exact avec lequel Les Hommes contre l’humain fait écho à la
question : qu’est-ce qu’un homme
libre ?
Présence de Gabriel Marcel