Une philosophie concrète est une philosophie de la pensée pensante ; elle ne peut se constituer qu’à la faveur d’une sorte de dangereuse et perpétuelle acrobatie. [...] Je serais enclin, pour ma part, à dénier la qualité proprement philosophique à touteœuvre où ne se laisse pas discerner la morsure du réel. [...] On ne saurait trop se méfier du philosophe qui juge, qui fonctionne, en tant que philosophe. Car il opère au sein de sa propre réalité une discrimination qui le mutile et qui tend à fausser irrémédiablement sa pensée ; [...] le rôle des esprits philosophiquement les plus vivants du siècle dernier, peut-être un Kierkegaard, mais sûrement un Schopenhauer ou un Nietzsche, a justement consisté à mettre en lumière [...] la dialectique en vertu de laquelle le philosophe est amené à se surmonter lui-même en tant que [...] simple spécialiste. [...]
Il ne saurait y avoir de philosophie concrète sans une tension continuellement renouvelée et proprement créatrice entre le Je et les profondeurs de l’être en quoi et par quoi nous sommes, ou encore sans une réflexion aussi stricte, aussi rigoureuse que possible, s’exerçant sur l’expérience la plus intensément vécue. »
Présence de Gabriel Marcel