« C'est sur une
impression d'étouffante tristesse qui se dégage d'un monde axé
sur la fonction. Il suffit d'évoquer l'image navrante du
retraité et aussi celle, évidemment connexe, de ces dimanches
citadins où les promeneurs donnent la sensation d'être des retraités
de la vie. Un sourd, un intolérable malaise est ressenti par celui
qui se voit réduit à vivre comme s'il se confondait effectivement
avec sa fonction, ce qui prouve qu'il y a une erreur ou
un abus d'interprétation atroce qu'un ordre social de plus en
plus inhumain et une philosophie inhumaine elle aussi ont également
tendu à enraciner dans des intelligences sans défense. »
Analyse de l'inquiétude humaine, chez St Augustin, Pascal, Kierkegaard,
Nietzsche, Heidegger, Sartre, Gœthe, Gide. « L'inquiétude
positive, celle qui présente en soi une valeur, c'est la disposition
qui nous permet de nous dégager de l'étau dans lequel nous enserre
la vie quotidienne avec les mille soucis qui finissent par recouvrir es réalités véritables ; cette inquiétude-là est un principe
de dépassement, c'est un chemin que nous avons à gravir pour accéder
à la paix véritable, à celle qu'aucune dictature, aucun impérialisme
n'a le pouvoir de troubler, car au sens le plus précis la paix
n'est pas de ce monde, et il est à croire que de cette paix-là
les puissants ne sauraient avoir la moindre notion. J'ai dit l'inquiétude,
je n'ai pas dit l'angoisse, car il me semble que l'angoisse est
toujours un mal, puisqu'après tout elle se referme toujours sur
soi et qu'en même temps elle risque, nous l'avons bien vu, de donner naissance à une sorte de jouissance sadique, qu'il faille
ou non y voir, avec certains psychanalystes, quelque chose comme
la manifestation du besoin d'autopunition. »
Présence de Gabriel Marcel