«
Il m'est souvent arrivé de concentrer mon attention sur
ces mots : mon système ou ma philosophie, et d'être
saisi par une sorte d'effroi en présence de leur caractère
dérisoire. » L'horreur du système est le commencement
de la vraie philosophie. À partir du moment où elle
est traitée comme un avoir, une philosophie ne se dégrade-t-elle
pas, ne se mue-t-elle pas en son propre cadavre ? Gabriel Marcel
répugne à la pensée figée, à
la réponse irrévocable qui annule et tue l'interrogation.
Ce livre, Présence et immortalité, contient des
pages de son Journal métaphysique ainsi que deux textes,
l'un sur les caractères généraux de sa pensée,
l'autre sur les prémices existentielles de
l'immortalité.
C'est principalement sur l'existence quotidienne, le péché
et la mort, une suite de réflexions prises et reprises
à la manière d'un thème musical. L'inquiétude
n'en est pas absente, car si la philosophie tend universellement
à l'instauration d'une certaine paix intérieure,
d'une certaine harmonie, celles-ci ne sauraient être données
à l'origine. L'aspiration vers elles s'éprouve comme
une nostalgie, c'est-à-dire comme une inquiétude.
« Être inquiet, c'est chercher son centre ».
« J'estime qu'il peut être salutaire
d'ouvrir des brèches dans l'armure intelligible où
nous étouffons chaque jour davantage. Ce qui importe, c'est
de savoir si en s'affranchissant, non pas d'ailleurs
complètement,
de la mentalité primitive et de ses catégories,
l'homme ne s'est pas rendu de plus en plus aveugle à certains
aspects fondamentaux du monde où il lui est donné
de vivre. Cette possibilité, entrevue par Bergson, ne me
semble pas avoir été sérieusement explorée
par les philosophes qui l'ont suivi, cela pour des raisons trop
faciles à découvrir. Explorer, dis-je : oui, la
recherche prend ici un caractère spéléologique
; il s'agit de se frayer un chemin au fond d'un gouffre, à
la lumière vacillante d'une réflexion qui se doit
à elle-même de mettre en question à chaque
pas les principes sur lesquels repose la connaissance diurne.
(…) Il sera important de noter qu'il n'y a pas de raison pour
qu'une philosophie existentielle gravite autour de l'angoisse
; je songe à l'ivresse de découvrir, d'explorer
(un pays, une partition) - et qui est peut-être la joie
la plus pure que j'aie éprouvée. »
(pages 64-65 et 161)
« Il n'y a d'espérance que
malgré tout, je crois qu'elle ne peut s'enraciner que dans
le pressentiment, hélas discontinu, d'un monde invisible
hors duquel tout ne serait que délirante absurdité
et dont les grands spirituels, d'une part, les plus grands musiciens,
de l'autre, un Bach, un Mozart, un Beethoven, avant tout, nous
ont livré les inestimables et fulgurantes prémices.
»
(page 150)
GABRIEL MARCEL
Présence de Gabriel Marcel